Mon histoire ? Elle est affreusement longue. Et, malheureusement, pas très intéressante. Je tâcherai de m'en tenir aux grandes lignes. Gardez toutefois à l'esprit que je ne vous promets ni un conte de fée, ni une fin heureuse. C'est ainsi, avec les vraies histoires. Elles sont parsemées d'horreurs, de tristesse, et se concluent de façon très... Décevante.
Je suis né Max Eisenhardt. Un petit garçon juif, de la ville de Leipzig. Mon père, Jakob Eisenhardt, était un vétéran de la grande guerre ; ma mère, Edie, une fervente pratiquante, s'occupa de mon éducation religieuse avec assiduité. L'un comme l'autre étaient fiers d'être Allemands, estimant qu'ils appartenaient à une belle nation qui s'était temporairement égarée lors de la première guerre mondiale, mais saurait rebondir. Inutile de préciser que l'émergence du Nazisme les déçut, l'un comme l'autre, dans leurs attentes. D'abord farouches opposants au régime, mes parent comprirent rapidement qu'Adolf Hitler n'hésiterait pas à tuer les contestataires pour les réduire au silence. Nous partîmes donc vers la Pologne, espérant y trouver refuge le temps que les choses se tassent... Sauf qu'une rafle nous captura à la frontière. Tous les trois frigorifiés et pétrifiés de peur, nous fûmes exhortés à rejoindre les autres juifs en diaspora au fond d'un camion, pour ressortir dans la grisaille d'un matin d'Octobre. À Varsovie, dans un ghetto construit pour "héberger" les juifs. Pendant quelques mois, le quotidien qui fut le mien demeura pénible, mais supportable : j'avais un lit. Froid et humide, certes, mais mitoyen à celui de mes parents. Nous mangions, peu, mais assez pour ne pas trop souffrir de la faim. Et nous étions ensembles, à craindre chaque jour l'arrivée de soldats allemands, mais unis dans l'inquiétude. Certains soirs où ma mère me sentait incapable de dormir, elle m'accompagnait dans mes prières silencieuses pour que les choses redeviennent comme avant. Ce quotidien précaire me parut affreux sur le moment, mais ce qui allait suivre vint redéfinir ma conception "d'affreux".
De Varsovie, mes parents et moi voyagèrent dans un nouveau convoi, direction Auschwitz. Là, à peine débarqués, on nous envoya dans une pièce blanche empestant l'encre, où un numéro de série nous fut gravé sur la peau – tel le marquage du bétail. Max Eisenhardt n'existait plus. Je devins "prisonnier 214 782". Sonné par cette perte de mon statut d'être humain, je me laissais faire lorsqu'on nous poussa vers une file qui divisait en deux groupes les juifs. À gauche partaient ceux en état de travailler, à droite allaient ceux qui n'étaient bon à rien. Mes parents atterrirent à gauche, et moi, à droite. On allait tuer mes parents à la tâche, tandis que je moisirai, entassé avec douze autres prisonniers juifs, jusqu'à ce qu'on trouve une utilité à ma maigre carcasse. Être conscient de ce genre de chose à douze ans vous marque plus profondément que n'importe quel tatouage. À la seconde où nous avons été séparé, où mon cerveau a tiré les conclusions qui s'imposaient, je me suis senti voler en éclats de l'intérieur. Une balle de revolver pulvérisant ma cervelle n'aurait pas fait moins de dégâts à ma psyché. J'ai perdu tout contrôle, toute inhibition, toute notion de la réalité, je me suis raccroché à l'impossible, et j'ai alors tenté vainement de me raccrocher à mes parents, alors qu'une imposante grille couverte de barbelés nous séparaient. Tout en moi voulait s'accrocher à mes parents ; je me suis senti tendre corps et esprit vers eux, les larmes coulants sur mes joues. Et j'ai commencé à me sentir happé vers l'avant. Peu m'importait de savoir pourquoi ou comment j'y arrivais, mais je me rapprochais de ma mère, et de mon père. Les grillages autour de moi se mirent à geindre, un vrombissement métallique de mauvaise augure gronda dans l'air humide, et à mon commandement, les obstacles devant moi s'écartèrent. Comme dans un rêve, les lois de la physique cessèrent de s'appliquer à moi, m'incitant même à continuer de faire ce que je faisais. Les soldats allemands m'entouraient, tentant de m'immobiliser sans succès, tandis qu'aimanté vers mes parents, je glissais dans la boue poisseuse. Jusqu'à ce qu'un coup de crosse ne m'assomme.
Si je me suis autant attardé sur cet instant, c'est parce qu'il a conditionné le reste de ma vie. C'est en usant pour la première fois de ma mutation que mon destin a été tracé. L'élément déclencheur, qui a fait de moi ce que je suis aujourd'hui.
À Auschwitz, un mutant du nom de Sebastian Shaw, qui œuvrait alors sous le pseudonyme du Doktor Klaus Schmidt, décela ce qui se cachait en moi. Profitant de ma vulnérabilité, il me transforma en cobaye pour des expériences, cherchant à voir jusqu'où allaient mes dons, tout en tentant à m'endoctriner pour que je devienne son loyal chien de garde. Ses méthodes passaient par la torture, activité à laquelle il se livra avec une joie perverse, et le bourrage de crâne. Parce qu'il savait que je ne maîtrisais pas encore mes facultés, et que seule une profonde colère pouvait m'amener à déployer mes talents, Schmidt tua ma mère sous mes yeux, conservant mon père pour un usage ultérieur. Ce dernier mourut d'épuisement, une fin à peine préférable. Quant à moi, je m'échappais à vingt ans de ma cellule. Huit années me furent nécessaires pour surmonter les traumatismes accumulés, et réussir à passer outre le traitement épouvantable de mon geôlier. À mon évasion, je n'étais qu'un soldat mutant. Je ne parlais pas un mot d'anglais, j'ignorais ce que les mots "petite amie" désignaient, et j'avais d'ores et déjà perdu toutes mes illusions concernant la nature humaine. Une pensée obnubilait mon cerveau : obtenir vengeance. Me préparer pour le jour où Schmidt et moi nous retrouverions pour lutter à mort. Max Eisenhardt ne pouvait plus me servir d'identité. Je devins Erik Lehnsherr, l'ombre d'un homme, habité par une intarissable flambée de colère. Un traqueur, une bête tournée vers sa quête, ne laissant dans son passage que des morts inexpliquées. J'appris à mentir, à feindre la douceur pour cacher mes pulsions véritables. J'appris à parler anglais, espagnol, français. J'appris à découvrir le monde qu'on ne m'avait jamais présenté. Mais la proie que je poursuivais s'avéra très bien entourée. Trop bien, même. Et je serais mort, si un autre mutant ne s'était pas manifesté.
Sebastian Shaw possédait le pouvoir d'absorber l'énergie, sous toutes ses formes (chaleur, vitesse, explosions, particules nucléaires, électricité). Emmagasinée, elle le maintenait jeune, ou pouvait être relarguée sur une cible touchée. Il avait traversé les âges, comprit qu'une nouvelle race émergeait, et prévoyait d'en devenir l'empereur, en asservissant l'Humanité. Aux côtés des autres membres de son Club des Damnés, ce renard ourdissait de déclencher la troisième guerre mondiale pour mettre à bas les hommes, et se présenter en nouveau maître, avec les mutants ayant rejoins sa cause. Je me contrefichais de ce qu'il voulait faire aux humains. Mon objectif était de le tuer, lui et ceux qui se mettraient en-travers de ma route. Mais pour se faire, il allait me falloir des alliés. Cela, je l'admets volontiers, je ne sus pas le voir. C'est Charles qui me le fit sentir. Charles était, et est toujours, un mutant télépathe. Repéré par la C.I.A., il avait été engagé pour former une unité mutante chargée de neutraliser Shaw. Pétri de bonnes intentions, il se lança de bon cœur à l'ouvrage, avec une innocence touchante que seuls ceux n'ayant pas vécu l'enfer peuvent avoir. Mais il savait se montrer convaincant dans ses arguments, et se défendait bien aux échecs. Alors, lorsqu'il me proposa de rejoindre les rangs de la C.I.A., j'acceptais. Par besoin d'échapper à la solitude, par envie de côtoyer des gens aussi spéciaux que moi. Et par curiosité de voir jusqu'à quel point Charles resterait aveugle à la noirceur de l'être humain, avant de comprendre qu'il se berçait d'illusions. Avec lui à mes côtés, me venger de Shaw semblait n'être qu'une formalité. Je me trompais. Doublement.
D'une, affronter Shaw fut l'un des combats les plus éprouvants de mon existence, car il savait parfaitement user de ses dons, et me connaissait également sur le bout des doigts ; et de deux, parce que jusqu'au bout, Charles Xavier s'échina à voir l'Humanité meilleure qu'elle n'était. Cela n'arrangea rien que, par accident, en déviant une balle m'étant destinée, je le blesse à la moelle cérébrale, endommageant assez ses nerfs pour paralyser ses jambes à vie. Nous étions comme deux frères de cœur, lui et moi. D'accord sur énormément de sujets, et poussés par le même désir de protéger les nôtres. Hélas, confrontée à la dernière des épreuves, notre amitié céda. J'obtins ma vengeance, tuant Shaw au grand dam de Charles, tandis que nos premiers élèves, des mutants que nous avions réunis et grossièrement entraînés au combat, s'opposaient aux adeptes du mutant absorbeur. Puis vint l'instant du Schisme. Deux armées humaines, ennemies jusqu'à peu, et terrorisées par nos actes surnaturels, pointaient leurs canons sur notre position, nous autres, les mutants, les différents. Nous aurions pu asseoir notre domination à ce moment, en réduisant en charpie leurs forces, pour dévoiler à l'Humanité que les mutants, l'Évolution, allaient les chasser de leur piédestal, et prendre les rênes. Mais Charles milita en faveur de l'inaction, en affirmant que, notre mission de l'ombre effectuée, il ne nous restait plus qu'à retourner à la niche, sans un remerciement de la pat de ceux-là même que nous avions protégés au péril de notre vie. Il prêchait pour se contenter du minimum, pour que nous entretenions ce fantasme de l'Humanité, qui la met au sommet de tout, alors qu'elle n'était déjà qu'un amas d'insectes sous les bottes des mutants. Une agent de la C.I.A. voulut m'empêcher d'aller au bout de mes ides en me tirant dessus, et toucha mon ami à la place. Encore une fois, le drame qui brisait mes rêves venait d'une humaine. L'utopie d'une race mutante unie s'évanouit lorsque Charles persista à se porter défendeur de leur existence, et que nombre de nos élèves le suivirent dans sa démarche. Moi aussi, j'eu des adeptes. Ceux qui avaient déjà cerné les réalités de notre temps, et qui savaient que nous allions devoir lutter pour survivre à la peur humaine. X-men et Confrères, face-à-face pour la première fois, alors que ni l'un ni l'autre se se revendiquaient sous un tel nom.
Vous connaissez certainement la suite de l'histoire. Entouré des membres de ma Confrérie, je suis devenu le mutant Magneto, terrible et redouté leader d'un groupe catégorisé comme criminel, voire terroriste. À plusieurs reprises, nous tentâmes d'éradiquer l'Humanité, de renverser l'ordre établi ; et à chaque fois, les médias vous annonçaient que nous avions été stoppé, sans préciser par qui ou par quoi. Car ceux qui veuillent sur vous, endossent le rôle de protecteurs silencieux et anonymes, sont les X-men. Les mutants guidés par mon vieil ami Charles Xavier. Nous n'avons jamais cessé de jouer aux échecs, même après notre séparation. Le plateau de jeu est simplement devenu le monde, et les pièces nos élèves respectifs. Sans jamais nous battre directement l'un contre l'autre, Charles et moi avons lutté, confrontés nos intellects dans une myriade de scénarios, appréciant les coups d'éclats et les manœuvres osées de l'autre. Un respect mutuel nous retient de tomber dans le pugilat pur et simple. Mais des deux côtés, nous savons que la réconciliation n'arrivera plus.
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